Florian Guillou, ça y est, vous avez pris la décision de raccrocher le vélo. Pourquoi ?
Fin août, j'ai appelé Emmanuel Hubert (le manager de l'équipe Bretagne – Séché   Environnement) afin de discuter. Dans ma tête, j'avais déjà pris la décision d'arrêter et je voulais lui en parler. Je n'étais plus vraiment dedans. Il y avait des signes qui me disaient qu'il était temps que je passe à autre chose et je voulais en parler à Manu. Je voulais absolument quitter l'équipe en bons termes. Avec Manu, avec qui ça s'est toujours bien passé, on a longuement discuté et voilà… Je ne voulais pas entendre de sa bouche qu’il ne me garderait pas, encore moins recevoir un courrier à la fin du mois. J’ai préféré lui dire que j’arrêtais. Maintenant, ma décision d'arrêter remonte au Tour de l'Ain (du 11 au 15 août). A partir de ce moment-là, j'ai compris que ce serait compliqué de continuer. Psychologiquement, je voyais que ce n'était plus pareil et en course, je n'arrivais plus à frotter. Je faisais un blocage, ça me travaillait beaucoup. J'avais peur dans les virages, je n'avais plus ma place. Je pense que tout est parti de ma chute survenue en mars sur le Tour du Langkawi (24 jours sans vélo). J'ai eu du mal à m'en remettre.
 
Ce sont les événements qui vous ont poussé à prendre cette décision…
Comme je n'ai pas été retenu sur le Tour de France, j'ai repris la compétition au Tour de Wallonie (25-29 juillet) où ça s'était mal passé. Là-bas, je me suis fait lâcher au bout de 50 bornes dès la première étape, chose qui ne m'était encore jamais arrivé depuis le début de ma carrière. J'étais pourtant super motivé, je marchais bien au stage de juillet, malheureusement… Je ne comprenais pas. Je jouais gros, pourtant. Je savais que je devais bien finir la course pour la suite. Je savais que je n'avais pas le droit de passer à côté du bloc Tour de Wallonie-Tour de Burgos-Tour de l'Ain. Au Tour de Burgos, j'étais juste et au Tour de l'Ain, je n'étais pas dans le coup, je n'arrivais pas à garder ma place dans les descentes de col. Ce n'était plus possible de continuer. Cela ne servait à rien d'insister. Au retour du Tour de l'Ain, je savais que j'allais arrêter. Après, c'est aussi un ensemble de choses, les déplacements commençaient à me peser, la lassitude commençait à s'installer. J'en ai discuté avec d'anciens coureurs, ils ont également connu ça avant d'arrêter.
 
Moralement, comment avez-vous traversé cette période ?
J'étais déçu. J'avais été hyper sérieux en juillet et je voyais bien que ça ne marchait pas comme je le souhaitais. Ça me désolait. Petit à petit, je me suis fait une raison. Si j'avais eu cinq ans de moins, j'aurais trouvé dur de raccrocher le vélo à 28 ans dans ces conditions. Mais je vais en avoir 33 ans, disons que mon tour est arrivé. J'ai été professionnel durant neuf ans, je pense avoir fait le tour de la question, j'ai eu la chance de disputer le Tour de France l'an dernier, je n'ai aucun regret. Je ne suis pas du tout aigri. Tout va bien, je suis déjà passé à autre chose.
 
Est-ce que le fait de ne pas refaire le Tour de France a été une déception ?
Oui. Après ma chute au Langkawi, je me suis dit que c'était peut-être un mal pour un bien, que j'allais en profiter pour faire du jus pour le mois de juillet. J'ai peut-être été victime de mon zèle à vouloir revenir trop vite. Ça a été une erreur, j'ai couru sans le fonds, je l'ai payé en juin où j'étais censé monter en puissance. J’étais sans force au moment où il aurait fallu montrer que j’avais peut-être encore ma place dans le Tour de France. C'est comme ça.
 
Quel bilan faites-vous de ces neuf saisons chez les professionnels ?
J'aurais aimé gagner une belle course, ne serait-ce qu'une belle course… Parfois, il ne m'a pas manqué grand-chose. Je suis arrivé trois ou quatre fois pour la gagne au Tour du Limousin ou au Tour du Doubs, par exemple. Malheureusement, je n'avais pas la pointe de vitesse pour faire la décision. J'en ai rêvé la nuit, pourtant. Je me suis même vu gagner… Même si je me savais limité, j'aurais aimé gagner une belle course, c'est le seul regret de ma carrière.

A côté de ça, il y a sans doute énormément de bons souvenirs…
Evidemment. J'ai eu la chance de disputer le Tour de France en 2014, j'ai gagné des courses par procuration avec les autres gars de l'équipe, j'ai été une pierre à l'édifice, j'ai participé aux victoires de l'équipe Bretagne – Séché Environnement en Coupe de France… J'ai vécu de grands moments. Cela dit, ma participation au Tour de France est au-dessus de tout. C'était grandiose…. Quand j'ai débuté ma carrière, je ne m'imaginais pas sur le Tour de France. Je prenais étape par étape, année par année. Je ne me projetais pas sur un plan de carrière. Je n'étais pas un grand coureur, je faisais avec mes moyens. Finalement, j'ai eu la chance de pouvoir évoluer dans une équipe en pleine évolution et elle m'a donné ma chance de courir la plus grande course du monde.
 
Quelle est l'image que vous avez retenu de votre Tour de France ?
Il y en a surtout deux. Le Grand départ à Leeds et l'arrivée sur les Champs-Elysées où j'avais des frissons. On approchait de Paris, je voyais la Tour Eiffel, c'était top… Quelle expérience ! Le Tour de France, c'était un défi. On passe par des moments extrêmes et quand on a le bonheur de le terminer, c'est super… Je ne vivrai plus pareilles émotions dans ma vie. J'ai eu la chance de courir le Tour, je ne vais jamais l'oublier.
 
Vous avez effectué neuf ans chez les professionnels, ce n'est pas rien…
Disons que ça s'est bien goupillé. Si j'avais été dans une Pro Tour, je n'aurais sans doute pas effectué cette carrière-là. Il y a tellement de pression. Personnellement, je l'ai dit, j'ai eu la chance d'évoluer en même temps que l'équipe. Avec le recul, même si je n'ai pas réalisé d'exploit, je me dis que j'ai eu la chance de rester neuf ans chez les pros. Maintenant, je me suis donné les moyens de réussir. J'ai toujours été hyper sérieux, je n'ai jamais rien laissé au hasard, j'ai toujours donné mon maximum. Je ne pouvais pas faire mieux. Je ne garderai que des bons souvenirs.

Le vélo ne va pas vous manquer ?
Un peu, je pense. J'ai envie de transmettre aux jeunes. Si j'ai eu la chance de faire une carrière chez les professionnels, c'est aussi parce que j'ai croisé des bénévoles qui m'ont aidé, qui ont donné de leur temps pour moi. Je me dois de rendre la monnaie. Je ne vais pas rester à la maison, j'ai l'habitude de dire qu'il faut toujours aller vers les gens.
 
Vous allez voir votre grand copain Jean-Marc Bideau continuer sa route la saison prochaine, sans vous. Ça va lui faire bizarre, non ?
Il est un peu plus jeune que moi. Il a encore envie, je lui ai conseillé d'en profiter au maximum, de continuer de se faire plaisir. Coureur cycliste, c'est un beau métier. On a la chance de vivre des moments extraordinaires. J'irai sans doute voir les courses de la région l'an prochain, le Tour du Finistère, le Tro Bro Leon.
 
Professionnellement, savez-vous dans quelle direction vous allez vous diriger ?
Pas encore. Actuellement, je rencontre beaucoup de monde. Ça avance bien. 

 

Interview parue dans la Bretagne Cycliste, Abonnez-vous en ligne !