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Fabrice Jeandesboz, 17e du Tour d'Espagne, si on vous avait dit ça avant le départ….
J'aurais signé des deux mains ! Avant le départ de la Vuelta, j'étais quand même assez confiant. J'avais un gros moral. Avec mes derniers résultats, je me disais que j'avais sans doute les moyens de jouer une victoire d'étape. Mais je n'imaginais jamais figurer dans le top 20 au classement général trois semaines plus tard. Je pensais d'abord à une victoire d'étape.
 
A quel moment avez-vous pensé au classement général ?
Romain Sicard était notre leader. Les deux directeurs sportifs d'Europcar m'ont quand même dit de me battre pour le classement général dans la mesure où Romain avait le Tour de France dans les jambes et qu'il risquait de le payer lors de la troisième semaine de la Vuelta. Du coup, ils m'ont demandé de ne pas perdre trop de temps à chaque étape. Je me suis pris au jeu. J'ai pris soin de ne pas perdre trop de temps et petit à petit, ça allait de mieux en mieux. Je me suis positionné.
 
Racontez-nous votre Vuelta alors…
Lors de la première semaine de course, c'était déjà difficile tous les jours avec des arrivées pour puncheur mais j'arrivais à m'en sortir à chaque fois. Je m'accrochais, j'étais tous le temps aux alentours de la 18e place. Quand la première journée de repos est arrivée, je me disais que les étapes de montagne allaient davantage me convenir que ces bosses explosives. C'est exactement ce qui s'est passé. Lors de la première grosse étape de montagne, j'ai réussi à tenir avec les favoris jusque dans le dernier col et je me suis retrouvé 14e du classement général. J'ai même occupé la 13e place du général ensuite…
 
Vous étiez premier coureur français du général à ce moment-là…
Ce n'était pas le plus important. Je m'accrochais davantage à cette place de 13e qu'à celle du premier Français même si les gens parlaient beaucoup de cette place de premier Français. J'aurais préféré terminer 13e du Tour d'Espagne et voir un Français sur le podium. Finalement, j'ai reculé à 17e place. J'ai des regrets sur l'avant-dernière étape. Je suis tombé en début de course, ce jour-là, et j'ai la sensation de ne pas avoir pu défendre mes chances jusqu'au bout. C'est comme ça…
 
Cela dit, on imagine que vous êtes satisfait de votre première Vuelta…
Evidemment ! Il y avait de la déception au soir de l'avant-dernière étape mais mon bilan est plus que satisfaisant. Terminer dans les 20 premiers d'un Grand Tour, c'est quelque chose que je n'aurais jamais imaginé la saison passée…
 
Justement, on a l'impression d'assister à une sorte de renaissance…
Je reviens de loin, c'est vrai. La Vuelta a été très compliquée tous les jours et dans les moments difficiles, je repensais à tous ce que j'avais vécu l'an dernier (fracture du trochanter lors du Grand Prix La Marseillaise et nouvelle fracture du trochanter  lors de Cholet Pays de Loire après six semaines d'arrêt). Avec toutes ces chutes (il s'était également fracturé la mâchoire et le coude sur le Tour du Portugal en août 2013), j'étais écoeuré du vélo, j'en avais marre. Lors de ma rééducation à Trestel, j'étais dans un fauteuil roulant… Après ma deuxième chute, l'an dernier, j'avais annoncé à ma femme que j'arrêtais le vélo. Je ne me voyais pas continuer. Les gens me disaient d'attendre avant de prendre une telle décision mais j'étais écoeuré. Et puis, à Trestel, un jeune coureur des Côtes-d'Armor, Victor Briend, qui était en école d'infirmier et qui faisait son stage là-bas, m'a remotivé à bloc. Il me disait que je ne pouvais pas arrêter le vélo de cette façon… Par la suite, j'ai demandé à ma femme si elle souhaitait que j'arrête, elle m'a dit de continuer et j'ai continué…
 
A partir de quel moment avez-vous retrouvé des sensations ?
A Trestel, ils m'ont remis sur le vélo alors que je marchais toujours en béquilles ! Quand j'ai repris la route, les premières sorties ont été très difficiles mais ça m'a fait un bien fou de rouler. Je repartais de zéro. Petit à petit, j'ai vu que je progressais. En fin de saison dernière, j'ai retrouvé des sensations. Alors que j'étais lâché dans les descentes au Tour de l'Ain et au Tour de Wallonie quelques semaines auparavant, j'ai pu attaquer dans le final de Milan – Turin alors que j'étais avec Contador. Dans la tête, ça faisait du bien.
 
Et vous avez enchaîné avec cette belle saison 2015…
C'est la meilleure de ma carrière. Je pense que la fraîcheur a joué. Après deux saisons presque blanches, j'ai réussi à m'exprimer même si mon début de saison a été un peu difficile. J'étais dans le doute en début d'année. Je me suis posé des questions et fin mars, j'ai vu que ça revenait. J'ai retrouvé la bonne spirale. Mes différentes chutes m'ont sans doute permis d'être meilleur, aussi. Je pense que je vais plus loin dans la douleur. Quand j'ai chuté l'an dernier, je n'avais jamais eu aussi mal de ma vie, avant de me faire opérer, je n'attendais qu'une chose : que l'on m'endorme. La douleur était insoutenable. Alors, avoir mal aux jambes à côté de cela… Mentalement, je suis plus fort aussi.
 
Vous aviez terminé 54e du Tour de France en 2012. Trois ans après, vous avez franchi un vrai cap…
Je suis beaucoup plus exigeant envers moi-même à l'entraînement. Je ne rechigne jamais à effectuer des heures. Bien sûr, je ne vais pas dire que je ne m'entraînais pas avant mais je suis plus rigoureux qu'avant. Et puis, j'ai 30 ans, je suis dans la force de l'âge. Je suis marié, j'ai deux enfants, je suis équilibré. C'est aussi pour cela que je suis plus fort.
 
C'est une belle revanche sur le mauvais sort…
En 2012 et 2013, je sentais que je progressais bien mais ces différentes chutes m'ont coupé dans mon élan. Je rattrape désormais le temps perdu. Ça fait plaisir. Ça fait également plaisir à beaucoup de gens, j'ai reçu beaucoup de messages de félicitations. Ça m'a beaucoup touché.
 
Ça faisait quoi de se retrouver aux côtés des favoris sur la Vuelta ?
Ça faisait bizarre. Lors de la première arrivée au sommet, Chris Froome a craqué avant moi. Il est resté un long moment dans ma roue… J'étais surpris, je me retournais souvent d'ailleurs. Je me demandais ce que je faisais là. Sur une autre étape, je voyais Valverde qui n'était pas bien, il a craqué avant moi lui aussi.
 
A 30 ans, vous avez encore de belles années devant vous…
Je le pense aussi. Je me sens comme un coureur tout neuf ! Je suis motivé pour les saisons à venir.

 

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